La lumière de la veilleuse, bien que faible, se reflétait subtilement sur les courbes de son visage angélique. Cet effet d’optique, accentuait le contraste de ses traits, et les rendaient encore plus discernables. Pourtant Frank n’y voyait absolument rien. L’héméralopie, était une difficulté de voire dès que la lumière commençait à s’estomper. Cette anomalie génétique ne l’avait jamais, vraiment, dérangé avant. Jusqu’à ce qu’elle tombe dans l’excès. Parfois, il en maudissait presque sa mère. Seule, porteuse du codon qui avait ruiné ses yeux. Il ravala sa salive, devenu trop amère. C’était pour cette raison, qu’il aimait tellement Italia. Sûrement. Frank avait ce besoin, essentiel, de s'accrocher à ses origines maternelles. Il devait lui pardonner ses douleurs et ses malaises.
« Mamma Emilia Lucelli Ziegler. Non dimentica … Questa perfetta stanza di terapia. »Marmonna-t-il d’un Italien boiteux.
La jeune homme, posa ses mains tremblantes sur ses genoux. Il tenta de les détailler, mais en vain. Ce n’était pourtant pas faute de plisser les yeux, ou de se concentrer. Il n’était pas question de faire de plus gros efforts. Frank avait juste besoin de lumière.
« Je peux te voire. Je peux te voire. » Songea-t-il rêveur.
Ce soir là, était l’une rares fois où il éteignait les trois lampes d’un coup. Une façon, certes doloriste, mais c’était tout ce qu’il avait trouvé afin de panser ses doutes : Leur faire face. Il cligna maladroitement des yeux, puis les frotta avec un mouchoir en soie blanche. Le visage pâle de cette femme, hantait ses pensées. Ses cheveux roux emmêlés prêtaient à confusion. En fait, il n’y avait rien d’Italien en elle, que son sang, sa fougue et sa maladie.
Il se releva, en s’appuyant sur le matelas défait. Il marcha jusqu’à l’interrupteur. Ses deux bras en avant à la manière d’un somnambule nonchalant. Ses pas incertains, faisaient valser son corps svelte, mais il continuait d’avancer. Il alluma la lumière, et ouvrit délicatement ses yeux embués. Le jeune homme fit volte face, et se dirigea vers son bureau.
Frank posa son regard sur une petite boite rectangulaire. Un sourire mièvre se traça sur son visage. Violine était une créature des ténèbres. Elle était peut-être entêtée et manipulatrice. Toujours, dans un coin sombre de la scène, les vibrations de sa basse étaient sa seule lamentation. Pourtant, quand elle entrait dans une pièce, c’était … Comme un soleil rougeoyant et pétant. Comme s’il n’avait jamais eu besoin d’un projecteur pointé sur lui. Le chanteur de « Luna Blue » ferma ses yeux, fatigués par le changement brusque de luminosité. Ses mains se posèrent, inconsciemment, sur un bout de tissu en satin perle. Il n’avait aucunement besoin de le voire pour le localiser. Il savait parfaitement son emplacement. Il tâtonna lentement les fibres, à la recherche de la douceur du ruban violet qui contournait col. Ses doigts touchèrent les deux filets qui servaient de bretelles courtes. Il sourit en retouchant les bords du tissus qui descendaient jusqu’au creux des reins. C’était un modèle PASSIONATA, désigné à la manière d’un dos nu. Il n’imaginait pas du tout la bassiste, porter une nuisette aussi conquête, mais elle correspondait parfaitement au profil de LA nuisette. Il loucha légèrement des yeux, avant de la plier et de la déposer dans le boitier. Il rajouta une paire de chaussettes rouges vifs, comme il l’avait imaginé. C’était un clin d’œil nécessaire, afin d’accentuer la maladresse vestimentaire de la jeune femme. Un éclat de rire mesquin lui échappa, tout à coup. Elle était bien la seule à jouer ainsi avec ses humeurs.
Il plia une feuille de papier, contenant l’antique méthode de séchage de lavande récoltée. A défaut, de sachets préfaits, il avait du supplier un vieux fleuriste de l’aider. En contre partie il avait acheté la moitié de son stock de lavande. Ce n’était pas celle d’une grand-mère récoltée dans un champ à coté d’une maison familiale, mais elles avaient les senteurs fraîches et enivrantes de ses étés Italiens. Il prit trois brindilles et les déposa à l’intérieur de son présent. Frank ferma le boitier, sans un mot, sans une carte. Il empoigna sa lampe torche et partit à l’aventure dans un couloir complètement noir.
« La chambre de Violine est la dernière, celle à coté de la salle de bain. » Raisonna-t-il, malgré le stresse qui montait en lui.
Il n’y avait rien d’effrayant ou de paranormal à traverser ce couloir. Il le savait pour l’avoir longer, maintes fois de jour. C’était juste que l’obscurité, avait un pouvoir supérieur sur lui. Une emprise, à laquelle il ne pouvait échapper. Un peu comme une créature des ténèbres, dont les ongles étaient des tranchoirs en acier. Cette image lui déroba un sourire. Pourquoi lui donnait-il le visage de Violine Blake ?
Sa main droite bien serrée sur le manche de la lampe, guidaient ses pas lents. La boite sous son autre bras, était un fardeau, bien que son poids ne soit pas colossal. Frank avait assez de mal à déplacer son propre corps alors …
Il continua vaillamment de marcher jusqu’à heurter la surface d’une porte. Un cri de douleur lui échappa. Merde ! Les autres dormaient, et il ne fallait absolument pas que Lili le prenne en flagrant délit. Le chanteur se maudit, en frottant le bout de son nez avec sa paume. Cette fois encore, il ne s’était pas raté. Il couina, encore avant de se pencher, de déposer la boite devant la porte en question.
« Bouh … Mission, presque réussie. » Se félicita-t-il.
Encore, fallait-il retourner dans sa chambre sans se casser la figure. Frank marqua une légère pause, afin de reposer ses bras. Après quelques minutes, il prit son courage à deux mains, et pointa sa torche en face de lui. Sa vision demeurait trouble, et ses jambes étaient parcourues de spasmes dont il ne connaissait même pas l’origine. Son ventre se tordit de douleur, et il eut une soudaine envie de courir chercher sa boite. Il plissa les yeux. Les dés étaient lancés, ce serait ridicule de revenir en arrière. Ce qui était encore plus ridicule, aussi, s’était de se prendre la porte de sa propre chambre. Super ! Il laissa tomber sa lampe torche sur le sol, et plaqua sa main contre son front.
« Merda ! » Râla-t-il dans un souffle. « Le photoshoot de demain ! »
Violine allait encore râler, en le voyant arriver avec un œil au beurre noir. Surtout, que Frank s’était trompé de porte. La boite devant la porte de la salle de bain, avait une chance sur 4 d’être découverte par Lili. La cécité nocturne n’était pas une simple maladie. C’était bien plus que ça. C’était une tare.